Pro learning, sous une autre raison sociale, à l’époque, a été la première société, en collaboration avec l’IFBL à donner des formations à la lutte contre le blanchiment. Quelques mois plus tard, la législation rendait ces formations obligatoires.

La lutte contre l’argent de la criminalité n’est pas du tout récente et on pourrait même estimer que de tout temps, des autorités ont essayé d’empêcher des criminels de pouvoir profiter du fruit de leurs exactions. L’origine du mot « blanchiment » est lui-même historique. Il est né quand en 1928, à Chicago, la famille Biron (famille mafieuse), a racheté une chaîne de blanchisseries (Sanitary Cleaning shops). Une autre source, évoque que ce serait Al Capone qui aurait fait cet achat et donc utilisé cette façade légale qui permettait ainsi de recycler les ressources  tirées des nombreuses activités illégales. Les « célèbres » mafiosi, Meyer Lansky, Lucky Luciano, bien sûr Al Capone, et tant d’autres ont compris qu’avec l’énorme apport d’argent illégal provenant du trafic d’alcool, il leur fallait trouver d’autres techniques de blanchiment. Ils firent « transiter » leurs fonds par des îles politiquement indépendantes, les pays offshores. Toutefois, la notion d’argent sale est très ancienne puisque déjà dans la période médiévale on trouve des traces de cette notion. Un siècle plus tard,  on voit surgir le phénomène de la « monnaie noire » -métal vil appelé billon-  qui est échangé contre la « monnaie blanche » ou monnaie noble d’argent.

La lutte organisée en tant que telle est assez récente puisqu’elle date de 1989. L’année précédente, les milieux financiers et particulièrement bancaires ont craint d’être submergés par les « narco-dollars ». Cet argent, majoritairement du cash, issu du trafic de stupéfiants et plus particulièrement  venant  de Colombie. Ces financiers ont évoqué leurs craintes avec leurs autorités respectives et lors du Sommet du G7 qui s’est tenu à Paris, connu sous le nom de « Sommet de l’Arche », il a été décidé de créer une instance internationale chargée de « diriger » la lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue. Cette organisation a reçu le nom de Groupe d’Action Financière sur le Blanchiment des Capitaux, mieux connu sous l’abréviation de GAFI.

40 recommandations pour bien lutter, destinées aux professionnels financiers ont été publiées par le GAFI. 26 pays et 2 institutions étaient admis comme membres de l’organisation. Le Luxembourg en faisait partie. De nos jours, il y a toujours 40 recommandations, celles-ci sont constamment mises à jour en fonction de l’évolution que requiert la lutte contre le blanchiment qui s’est étendu à bien d’autres trafics. Depuis les attentats du 11 septembre, la lutte contre le financement du terrorisme est venue s’ajouter à la lutte contre le blanchiment. Le GAFI compte aujourd’hui 37 états membres. Les deux institutions membres en 1989, le Conseil de Coopération du Golfe et la Commission européenne, en font toujours partie.

Au Luxembourg, une première loi était promulguée le 7 juillet 1989. Pour répondre à des attaques incessantes de pays limitrophes contre le Luxembourg, je me permettrais simplement de rappeler que le Grand-Duché avait adopté cette loi avant la France, par exemple, qui ne le fera que début 1990. La loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier va venir renforcer les obligations en matière de lutte contre le blanchiment et une circulaire du Parquet datée du 12 mai 1993 exigeait déjà  que les professionnels disposent d’un responsable des déclarations.

Le titre de la loi du 7 juillet 1989 était « Lutte contre le blanchiment d’argent provenant du trafic de stupéfiants ». Comme on peut le voir, la législation a beaucoup évolué. Le « bien » qui à l’origine était « l’argent » peut aujourd’hui être résumé en disant « tout », puisque le législateur a même disposé qu’un document ou instrument juridique sous quelque forme que ce soit, est considéré comme un bien. L’infraction primaire au blanchiment qui en 1989 était le « trafic de stupéfiants » a également considérablement évolué. Il suffit de voir la loi modifiée du 12/11/2004 pour s’en convaincre. La circulaire 20/10 CRF résume parfaitement ces infractions puisqu’il est écrit que « la quasi-totalité des infractions qui sont de nature à générer … des biens sont visées comme infractions primaires ou comme la loi du 10/08/2018 les nomme désormais … infractions sous-jacentes associées.

Le Luxembourg par la transposition des différentes Directives européennes, par le respect des recommandations du GAFI se veut être un bon élève dans la lutte.

Outre les buts définis dans cadre de l’obligation d’organisation interne adéquate de se former, à savoir, aider le personnel à reconnaître les opérations suspectes et la manière de procéder dans de tels cas, j’estime qu’il est important pour un formateur de conscientiser les participants à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme face aux dangers pour nos sociétés que sont ces crimes et délits souvent l’œuvre d’organisations criminelles.

Le formateur, que je suis, est souvent confronté à des remarques de la part des participants. Ces derniers dans leurs questions ou remarques sont toujours bien conscients de cette obligation de lutte mais ils constatent que le Luxembourg est toujours l’objet de nombreuses remarques et critiques, alors que toute l’organisation de cette lutte y semble réellement rigoureuse et stricte. Ils remarquent également que de nombreux pays membres du GAFI sont largement moins rigoureux et ne font pas l’objet de toutes ces critiques. A l’instar des FAQ, soit les questions les plus fréquemment posées, je vais me permettre d’évoquer quelques remarques les plus fréquemment faites et je les compléterai par un commentaire personnel.

La première tient aux pays membres du GAFI. Le pays le plus généralement cité et la première question est régulièrement celle-ci : « Est-ce crédible d’y voir la Fédération de Russie ? ». Je répondrais que ce pays était sur la liste des Pays et territoires non coopératifs et même classé comme encore un peu plus « mauvais » en octobre 2002 mais que la réunion plénière de juin 2003, en faisait un membre du GAFI. En 7 mois, passer de très mauvais à bon ne peut que soulever de l’admiration qui, à mes yeux, auraient dû faire l’objet de plus de publicité, que le simple communiqué du GAFI qui entérinait cette nomination comme membre… Les employés des banques de ce pays devant faire pratiquement la même diligence que nous face aux clients, ceci ne peut que nous mettre en confiance dans la relation avec les établissements financiers russes.

Il n’est pas que la Fédération de Russie qui fait l’objet de questions lors d’un séminaire.  Les participants aiment évoquer aussi la Chine, la Turquie, l’Inde, la Malaisie, et j’en passe. Que peut répondre le formateur ? Si ces pays sont membres, c’est que les analyses du GAFI les ont jugés suffisamment respectueux des conditions pour en devenir membres. Mais ça étonne. Ce sont des raisons politiques qui facilitent leur entrée. Personne n’est convaincu que l’employé, d’une banque indienne perdue dans l’immensité du pays et qui n’a que quelques clients, va s’intéresser à l’origine des fonds de ses clients. Cet employé doit vivre, manger et subvenir aux besoins de sa famille. Il a donc besoin de clients pour son agence bancaire. Force est de constater que le GAFI mêle son « action financière » et « action politique ».

Une autre remarque régulièrement faite a trait aux résultats de la lutte et plus particulièrement ceux du GAFI. Revenons à la base de la lutte, à savoir, le trafic des stupéfiants. Celui-ci ne s’est jamais aussi bien porté. Il enregistre ces dernières années une croissance annuelle d’environ 10%. Le proverbe ne dit-il pas « Il n’est pas nécessaire de réussir pour persévérer »

Quelle a été la principale préoccupation de la lutte ces dernières années : la fraude fiscale. Avant de poursuivre sur ce sujet, cette infraction doit être condamnée au même titre que toutes les autres infractions.  Un simple constat permet de voir que toutes les autorités ont énormément œuvré sur ce sujet. Commençons par l’OCDE, le GAFI qui d’après ses dires est indépendant de l’OCDE, les autorités internationales en commençant par les américaines, très promptes à exiger des autres des réponses quant à leurs citoyens mais qui ne répondent pas aux demandes concernant les autres, les autorités européennes et bien sûr les nationales. Pour ces dernières, retenons la Circulaire CSSF/CRF 17/650 du 17/02/2017 qui, pour la première fois a été publiée conjointement par la CRF et la CSSF. Cette double signature, jamais vue jusque-là, montre donc de l’extrême gravité des infractions fiscales. Ceci interpelle au plus haut point et je me dois de reprendre les propos d’un participant qui disait : « J’ai l’impression que c’est plus dangereux d’avoir à la porte de l’école de mes enfants un blanchisseur de la fraude fiscale qu’un trafiquant de drogues ». Aux responsables français, qui de tout temps, ont attaqué le Luxembourg,  on pourrait demander  ce qu’ils font pour lutter contre ces criminels, souvent issus des banlieues, qui sont déclarés chômeurs, mais qui roulent dans de grosses berlines aux vues et sues de tout le monde. Que font ces autorités pour lutter contre l’origine des fonds, toujours illégale et majoritairement liée au trafic de stupéfiants. Par ailleurs, comment ces personnes qui ne paient pas d’impôts peuvent-elles disposer de telles voitures ? Même au niveau fiscal, ce pays si prompt à donner des leçons aux autres ne fait rien. Le dicton français: « on voit la paille dans l’œil du voisin mais pas la poutre que l’on a dans le sien » est toujours d’actualité.

Dans les remarques que j’entends, il est fait état de certains pays membres et d’une autre infraction qui génère beaucoup d’argent, il s’agit de la contrefaçon. A-t-on vu ou lu le GAFI ou d’autres autorités consacrer beaucoup d’énergie à lutter contre ce fléau. Poser la question est y répondre. La fraude fiscale au niveau mondial est estimée à 100 milliards de dollars. La contrefaçon, uniquement au niveau européen, est estimée à 80 milliards d’euros et coûterait 434.000 emplois. Les participants me citent bien sûr la Chine, capable de tout produire en contrefaçon, la Turquie, grande spécialiste de la contrefaçon textile mais pas que, l’Inde spécialisée dans la contrefaçon des médicaments mais pas que. Que dire, que répondre face à ces remarques, sinon que tout un chacun doit faire correctement son travail, tant pour des raisons légales et ne pas être puni que pour des raisons morales et ainsi priver ces criminels de leurs biens, et quelles que soient les infractions commises. Mais encore et surtout que pour garder toute crédibilité, il ne suffit pas, pour les autorités de se consacrer à une facilité toute relative de la lutte comme l’est la fiscalité mais aussi de se pencher sur des origines de biens provenant d’infractions et ce, au risque de fâcher certains pays membres importants.

En conclusion, je dirai que je constate, au travers de ces remarques, une évolution des participants aux formations. Au début, il y avait de leur part, une certaine incompréhension et ils se demandaient ce qu’ils faisaient dans « cette galère ». Aujourd’hui, même les nouveaux employés, à force d’entendre parler de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ont des notions, ils prennent rapidement conscience de leurs obligations de lutte mais avec un esprit critique qu’il ne faut pas voir comme négatif mais constructif pour la faire évoluer favorablement.

 

Pierre-Paul Boegen